La Roussette éméchée

Profitant de sa pause, été comme hiver, au soleil comme sous bruines et brumes, Gwennenn se baignait tous les jours à treize heures dans une crique de la côte sauvage. Tel un rituel, elle posait ses habits dans le creux d’un rocher, dénouait ses longs cheveux ocre rouge et glissait dans l’eau sans l’once d’une hésitation. Après trois brasses, elle plongeait et, comme le cormoran, nul ne savait où elle réapparaîtrait.

Au retour de ses bains, Gwennenn resplendissait d’un tel bien-être que ses collègues se demandaient par quelle magie ses apnées l’enivraient de la sorte.

Sa chevelure chatoyante et l’excentricité de ses baignades participèrent à ce qu’elle fut surnommée la Roussette éméchée.

Mais c’est une autre roussette qui l’attirait, à la peau rugueuse et tachetée. Sous la plate luminosité d’une journée d’hiver, à treize heures, on prétendit que Gwennenn se laissa happer par les courants pour se réincarner en requin. Quoi qu’il en fût, depuis, son corps de femme jamais ne reparut.

Toutefois, les anciens disent que son âme trouva refuge dans les brise-lames de Saint-Malo.

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Extrait de Brise-lâmes, un recueil de photo / poésie / contes marins auto-édité avec The BookEdition

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